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À Differdange

Sandra, la tatoueuse qui aide les femmes touchées par un cancer du sein à retrouver leur féminité

La tatoueuse luxembourgeoise s’est formée à l’art du tatouage médical aux États-Unis. Elle permet aujourd’hui aux femmes touchées par la maladie de renouer avec leur féminité, mais aussi leur dignité.

Sandra Biewers se dit fière de redonner de la fierté aux femmes touchées par un cancer du sein.
Sandra Biewers se dit fière de redonner de la fierté aux femmes touchées par un cancer du sein. © PHOTO: Anouk Antony

Il y a quelques jours avait eu lieu la Journée mondiale contre le cancer. En 2022, il a été responsable de 1.099 décès au Luxembourg. Chaque année, c’est environ 3.000 cas qui sont diagnostiqués au Grand-Duché. Chez les femmes, c’est le cancer du sein qui est le plus fréquent. C’est d’ailleurs celui-ci qui nous intéresse. Dans de nombreux cas, selon l’état de la tumeur, le corps médical et la patiente devront se résoudre à la mastectomie. En d’autres termes, l’ablation totale ou partielle du sein. Ceci, afin d’éviter la propagation des cellules cancéreuses.

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Bien sûr, des reconstructions mammaires existent, celles-ci peuvent néanmoins tourner au cauchemar lorsqu’elles ne sont pas faites correctement. De plus, ces opérations omettent parfois deux petits détails : la bonne reconstruction de l’auréole et du mamelon. C’est là que Sandra Biewers, tatoueuse professionnelle, intervient grâce à ses «tatouages médicaux».

À l’époque, elle détestait les tatouages

Depuis toute petite, Sandra aime dessiner. Si elle ne s’imaginait toutefois pas en faire carrière, la Luxembourgeoise aux origines portugaises a toutefois développé sa fibre artistique au fil des années. «À l’âge de 18 ans, j’ai commencé à me faire des piercings, au salon One More Tattoo à Luxembourg. C’est là où j’ai fait la connaissance d’une tatoueuse croate lors d’une séance de perçage. À l’époque, je trouvais que les tatouages étaient presque quelque chose de «vulgaire», d’«effrayant». Et pourtant, cette tatoueuse utilisait l’aiguille comme un pinceau, elle respectait les contours du corps. C’était très beau à voir, malgré le fait qu’elle avait une aura très stricte, pour ne pas dire méchante (rires)».

Sans trop y croire, Sandra, qui se fera tatouer pour la première fois à 19 ans, présente ses dessins à cette fameuse tatoueuse croate. «Après lui avoir présenté mes réalisations à quelques reprises, elle a finalement accepté de me prendre en tant qu’apprentie dans le salon».

Malgré une certaine aversion pour le cursus scolaire classique, Sandra parviendra à décrocher son diplôme en comptabilité. «Les trois dernières années au lycée ont été vraiment intenses. Je partais de Wormeldange jusqu’à Echternach pour suivre les cours pour rallier ensuite le salon de tatouage dans la capitale». Après quelques années à travailler à Luxembourg, elle décide, à 26 ans et malgré les doutes, de se lancer à son propre compte. «À Strassen tout d’abord, le long de la route d’Arlon, non loin du McDonald’s. J’y suis restée trois ans, mais lorsque le bail a augmenté, j’ai décidé d’aller voir ailleurs.»

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Le bouche-à-oreille ayant eu le temps de faire son œuvre, la clientèle ne désemplit pas. «Je voulais me rapprocher de la Moselle, d’où je suis originaire. J’ai donc ouvert un salon à Sandweiler, où je suis restée trois ans également.» Mais au bout du compte, elle finira par débarquer au 1535° Creative Hub de Differdange, un espace dédié aux créateurs innovants et inspirés. «Cela fait plus ou moins cinq ans que je suis ici», sourit-elle.

Sandra travaille au sein du 1535° Creative Hub de Differdange.
Sandra travaille au sein du 1535° Creative Hub de Differdange. © PHOTO: Anouk Antony

Dans son studio, baptisé «Inktologie Tattoo», elle peut laisser libre cours à sa créativité débordante. Des objets, des plantes et des tableaux originaux décorent les étagères et les murs d’une manière assez poétique. On est plus proche du loft d’artiste que du studio de tatouage exigu.

Et le tatouage médical dans tout cela? «Lorsque j’étais encore en apprentissage, dans le salon de la capitale, une dame assez chic s’est un jour présentée. Elle m’a expliqué avoir eu un cancer du sein, mais que la reconstruction mammaire avait été un véritable fiasco. Un tatouage avait été fait, mais il avait très mal réalisé, les médecins et docteurs n’ayant pas nécessairement les formations adéquates, ni la vision d’artiste. Bref, je n’avais jamais été confrontée à un tel cas, mais j’étais convaincue de pouvoir faire mieux que cela.»

Sandra s’y colle donc, retravaillant le tatouage afin que ce dernier soit plus en adéquation avec la peau, tout en jouant sur les ombrages. Un travail de précision qui s’est révélé payant. «Elle était très contente du résultat. Dès qu’elle s’est regardée dans le miroir, elle avait déjà adopté une autre posture, la poitrine plus en avant, comme un signe de fierté retrouvée.»

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Et pourtant, aussi fou que cela puisse paraître, à ce moment précis, Sandra prie pour ne plus être confrontée à pareil cas dans sa carrière professionnelle. «À l’époque, c’était trop de responsabilités pour moi, je ne me sentais pas prête pour cela. Je n’avais pas l’impression d’être légitime face au secteur médical.»

Et puis un jour, le déclic. «C’était un peu avant la pandémie, je me suis finalement dit que j’étais prête pour cela. Après quelques recherches, j’ai vu que je pouvais me former aux États-Unis.» Le covid-19 ayant fait son apparition entretemps, le projet de Sandra est donc retardé de quelques années. «Finalement, il y a deux ans, dès que les frontières ont été rouvertes, j’ai décollé pour la Pennsylvanie où j’ai suivi une formation sur le tatouage médical pendant une semaine environ. Cela concernait, d’une part, le tatouage du mamelon et de l’aréole, mais également l’atténuation des cicatrices, grâce au tatouage également.»

Un sein sur mesure!

Et, depuis lors, la tatoueuse luxembourgeoise «répare» les femmes ayant dû subir une mastectomie consécutive à un cancer du sein. «Mais aussi les personnes qui ont changé de sexe par exemple. Je suis également formée à l’hypnothérapie pour aider les personnes ayant peur du tatouage, notamment celles ayant subi un stress post-traumatique suite aux multiples opérations.»

Selon ses désirs, la cliente peut avoir un sein sur mesure.
Selon ses désirs, la cliente peut avoir un sein sur mesure. © PHOTO: Anouk Antony

En guise d’exemple, prenons le cas d’une patiente ayant dû subir une ablation du sein. «Le docteur a reconstruit la forme du sein, sans le mamelon et l’aréole. Si l’ablation ne concerne qu’un sein, je me base sur celui restant pour réaliser un tatouage 3D réaliste avec les mêmes couleurs, la même texture et la même forme que celui qui existe encore. S’il n’y a plus de mamelons des deux côtés, on peut se baser sur des photos d’avant les opérations ou même être plus créatif en proposant différentes formes et couleurs de tétons. La personne peut vraiment avoir un sein sur mesure et qui dure dans le temps!», sourit Sandra.

Une illusion d’optique

Pour donner du volume à tout cela et donner une impression de réalisme, elle joue ainsi sur les encrages et les ombrages. «Je mélange ainsi différentes nuances claires et foncées avec la couleur choisie précédemment. C’est un peu comme une illusion d’optique.»

Aussi fou que cela puisse paraître, il s’agit d’un tatouage réalisé par Sandra.
Aussi fou que cela puisse paraître, il s’agit d’un tatouage réalisé par Sandra. © PHOTO: Sandra Biewers

La tatoueuse explique que son service répondait à une véritable demande. «Je dirais que je fais cela une fois par mois environ». Et grâce à elle, de nombreuses femmes touchées par la maladie ont ainsi pu retrouver une certaine féminité qu’elles croyaient perdue. «C’est magique! Cela redonne effectivement un peu de dignité, mais également de la pudeur, car elles retrouvent ce qui fait, en partie, d’elles des femmes. Certaines se sentent également à nouveau désirées par leur conjoint.»

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D’ailleurs, les talents de Sandra ne sont pas passés inaperçus auprès des professionnels de la santé. «Les médecins n’hésitent désormais pas à envoyer leurs patients dans mon studio!». Bref, celle qui autrefois craignait de sa légitimité auprès du corps médical travaille désormais de concert avec ce dernier! «La prochaine étape? Que ces tatouages médicaux puissent également être remboursés par la CNS», lance-t-elle.

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